Laboratoire d’Etude des Migrations Africaines

Interview avec Idrissa Diassy, président de l’ONG Forces Unies pour un Monde Meilleur

« LES JEUNES ÉMIGRENT PARCE QU’IL N’ONT AUCUNE LUEUR D’ESPOIR EN GUINÉE »

Administrateur civil de profession, Idrissa Diassy est engagé dans la lutte contre le phénomène migratoire dans son pays depuis plusieurs années. Dans cette interview, il aborde différents aspects de la question et propose des solutions.

Pouvez-vous nous présenter la Guinée ?

La République de Guinée est située au Sud-ouest de l’Afrique Occidentale avec une superficie de 245 857 km2. Elle est bordée par six pays : la Guinée-Bissau à l’Ouest, le Sénégal et le Mali au Nord, la Côte d’Ivoire à l’Est, le Libéria et la Sierra Léone au Sud. C’est un pays côtier avec 300 km de littoral maritime sur l’océan atlantique. La Guinée dispose de richesses hydrographiques importantes, d’un riche potentiel minier (Deux tiers des réserves mondiales de bauxite, soit 75% des réserves mondiales, or, diamant, fer de riche qualité, manganèse, zinc, cobalt, nickel, uranium) encore sous exploité. L’économie nationale, tiraillée entre développement et préservation environnementale, est essentiellement portée par les secteurs agricole (qui emploie 80% de la population) et minier (bauxite, diamant, or, fer).

Vous parlez de tiraillement, comment cela influence t-il sur l’environnement ?

L’explosion des sociétés d’exploitation minière a impacté tellement l’environnement et les populations que, la migration et l’exode rural se sont imposés à la jeunesse afin de se sauver de la précarité et améliorer leur condition de vie. Parce que ces jeunes n’ont aucune lueur d’espoir dans ce pays. Outre les catastrophes naturelles, les actions de ce grand nombre de sociétés minières qui ne sont pas forcément soucieux de la protection de l’environnement ont des effets sur changement climatique en Guinée.

Quelles sont les principaux facteurs de cette migration ?

D’abord, il y a la croissance économique faible, une répartition inégale des revenus, la surpopulation étroitement liée à une forte croissance démographique, des taux élevés de chômage. À cela s’ajoutent les conflits domaniaux et les épurations ethniques, les violations des droits de l’homme, les mauvaises volontés dans la gestion d’héritage entre les héritiers, etc.

Il y a aussi des facteurs sociaux, n’est-ce pas ?

Effectivement, héritiers du capitalisme, beaucoup de gouvernements des pays en développement s’enrichissent au détriment des pauvres populations. La dictature, l’absence de la démocratie, la pauvreté, le chômage et la malnutrition deviennent le vécu quotidien des populations. Les conflits familiaux, les soulèvements populaires, les coups d’Etat, le terrorisme, les conséquences du changement climatique, le manque du civisme, l’intolérance, le racisme, la xénophobie, l’esclavage moderne (le trafic humain et commercial), le mariage forcé, la confiscation des droits des enfants, l’esclavage sous contrat, les manifestations politiques et violentes, tout cela y est pour quelque chose.

Cela veut dire que la politique a sa part de responsabilité

Bien sûr, les causes politiques portent sur le manque de démocratie participative et d`inclusion des migrants aux processus de développement du pays d`accueil, le manque de volonté politique pour l`autonomisation des Elus locaux des communes dans leur gestion dans le vrai sens. Pire, nous assistons aux persécutions politiques et à l`absence d`institutions spécialisées pour lutter contre la xénophobie et toutes les formes d`intolérance et protéger les migrants et les victimes de trafic.

Peut-on dire que les Guinéens sont les seuls coupables de cette situation ?

Non, je ne le crois pas. D’ailleurs, 84% de l`économie mondiale est détenue par les G20 et les 16% sont réparties dans les 175 autres pays du monde. Malgré des progrès économiques réalisés dans toutes les régions du monde en 2016, les pays d’Afrique Sub-saharienne particulièrement la Guinée demeure sous le seuil de la pauvreté et de manques d’emplois de la jeunesse.

Comment les autorités affrontent-elles ce problème ?

Beaucoup de pays africains n`ont pas d`institutions spécialisées chargées des problèmes migratoires avec des centres sociaux d`accueil pour la collecte des données, d`assistance et de protection. En Guinée, je n’ai pas d’idée sur l’existence d’une structure pareille. Je sais de quoi je parle, car je passe presque 35% de mon temps avec les jeunes migrants de partout et des victimes du phénomène qui sont abandonnés à leur sort, sans prise en charge ou un programme sincère pour leur insertion socio-professionnelle.

Justement, quelle est la réalité sur le terrain ?

D’après nos enquêtes de 2015, le phénomène était alarmant et catastrophique sur le continent et pire en Guinée. Au forum de haut niveau de 2016, des représentants du Gouvernement et des ONGs ont confirmé dans leur déclaration du 19 septembre que : « Sur une population de 14 millions d’habitants, le nombre de migrants dépasse 5 millions de personnes de toutes les couches sociales confondues, dont 80% sont des jeunes ayant l’âge de 10 à 45 ans ». Le pire c’est que les bébés et des femmes enceintes en font partie. Donc, le constat reste toujours inquiétant, parce que jusqu’ici aucune perspective de sortie de ce phénomène pour la Guinée.

 

Quelles sont les conséquences de tout cela ?

Toutes ces formes d’aliénation et de privation de liberté individuelle ont poussé les Nations Unies à promouvoir des conventions et déclarations, notamment la déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, les conventions relatives au statut des réfugiés en 1951, la convention sur toutes les formes de discrimination raciale en 1965, puis celle realitve aux droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille en 1990. La non application de ces textes fait que la migration intracontinentale, extracontinentale et l’exode rurale sont devenues aujourd’hui pour les jeunes un moyen de se sauver de la pauvreté. Ainsi, des villages se vident de leurs jeunes en faveur des villes dont la statistique devient de plus en plus lourde engendrant d’autres problèmes de survie et d’infrastructures socio-économiques et des conséquences imprévisibles pour les nations en voie de développement. Plus grave, la déclaration politique des chefs d’Etat et de Gouvernement à New York le 22 Septembre 2011 en faveur de la lutte contre l’exclusion, le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et toutes les formes contemporaines d’esclavage est restée lettre morte dans plusieurs pays occidentaux destinations des migrants.

 

Une fois le tableau dressé, quelles solutions proposez-vous ?

Pour résoudre les problèmes migratoires forcés et massifs il faut adopter des mesures appropriées. Par exemple, adapter les systèmes éducatifs aux besoins du marché d’emploi du pays. C’est dans ce cadre que les Objectifs du Développement Durable (ODD) sont adoptés par les leaders mondiaux en 2015. Ces ODD disent que « personne ne sera laissé pour compte ».  Le 1er objectif est la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes et partout. Le 2ème est de mettre fin à la faim partout. En 2017, nous avons constater des lacunes dans les programmes initiés dans ce sens comme : la lenteur dans la mise en œuvre des ODD, le manque de volonté politique des pays et le problème de financement. L’implémentation holistique des ODD à tous les niveaux, du local au global, est un atout considérable pour limiter les flux migratoires massifs. La coopération entre le Gouvernement et la société civile s’impose pour contrôler la migration et limiter la criminalité, démasquer les criminels, lutter contre le trafic humain et celui commercial et assister les victimes de trafic et les migrants vulnérables.

 

Il y a aussi des efforts à faire en therme d’égalité sociale

Absolument. Il s`agit de créer des opportunités d`emploi pour les jeunes sans discrimination, lutter contre la discrimination liée au genre, au statut migratoire, promouvoir la paix, création d’une société inclusive. En outre, il faut promouvoir l`accès à la justice pour tous avec la création d`Institutions à tous les niveaux, promouvoir une politique de répartition égalitaire des ressources et promouvoir des programmes d`assistance aux migrants vulnérables avec une révolution des données et de leurs identités. Le partenariat mondial doit viser la lutte contre la pauvreté sous toutes ses formes et partout, éliminer la faim et la malnutrition, prévenir des catastrophes naturelles, réduire les inégalités sociales et éviter le régionalisme, et combattre le changement climatique.

 

Et sans doute dépolitiser le débat

Vous avez raison. Beaucoup de projets initiés en Guinée sont politisés par la suite et détourné dans leurs visions et objectifs. Ils pouvaient résoudre durablement le problème migratoire avec le développement de programmes d`inclusion, de protection et d`assistance aux groupes vulnérables et des migrants. Par exemple, les investissements dans les infrastructures porteuses d`emplois décents peuvent freiner les migrations internationales. C’est pourquoi les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités pour accélérer l`implémentation et la concrétisation des ODD dans les communautés locales avec une éducation des jeunes sur les ODD, la lutte contre le mariage forcé, les conflits sociaux, la polygamie, la xénophobie et l’application des conventions des Nations Unies pour la promotion des Droits de l`homme.

 

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