MALI – Moussa Ag Acharatoumane
Par Global Africa Telesud/LemAfriQ
Invité sur le plateau de la chaîne de télévision Global Africa Telesud, Moussa Ag Acharatoumane, leader du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) et membre du Conseil National de Transition (CNT), a évoqué plusieurs sujets dont l’intérêt des populations pour l’Alliance des États du Sahel (AES), les relations avec la Russie et la France et la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Concernant cette dernière, il affirme n’avoir pas vu une déclaration officielle qui dit que le Mali l’a quittée. Il a par ailleurs indiqué que son pays dépendait beaucoup de cet espace, surtout au plan commercial, économique et financier. « On ne peut pas faire l’économie des négociations et du dialogue avec cette institution sous-régionale pour essayer de voir par quels moyens l’on peut vraiment préserver l’intérêt des populations pour qu’elles ne soient pas affectées », a-t-il déclaré.
JOURNALISTE
Le Mali peut-être reviendra tôt ou tard sur la CEDEAO, selon vous.
MOUSSA AG ACHARATOUMANE
Je ne peux pas le prédire, car je ne suis pas à la tête du Mali ni du Niger ou du Burkina Faso. Mais ce que je peux dire, c’est que même si le Mali quitte la CEDEAO, les pays membres restent nos voisins immédiats avec lesquels, d’une manière ou d’une autre, nous devons pouvoir avoir des relations.
JOURNALISTE
Le Mali est aujourd’hui membre de l’Alliance des États du Sahel avec le Niger et le Burkina Faso. ¿Quelle est l’influence du Mali dans cette alliance stratégique sur le Sahel et l’Afrique de l’Ouest?
MOUSSA AG ACHARATOUMANE
Bon, je sais que tout le monde voit le Mali comme le leader de cette confédération. D’ailleurs il y a quelques jours, lors du sommet des Chefs d’État, la présidence de la confédération, pour le moment, a été confiée à Son Excellence Assimi GOÏTA. Je pense que, fondamentalement, c’est une très bonne idée. Pourquoi? Parce que tout simplement, nous sommes dans un espace où il n’y a pas de frontières. Ce sont les mêmes populations qui cohabitent. Première chose. Et deuxième chose, ce sont des populations qui vivent les mêmes difficultés sécuritaires et du sous-développement depuis très longtemps. En réalité, nous avons souffert de ce handicap lié à des frontières qui empêchent à des populations et à des états d’agir efficacement par rapport à ces problématiques.
Dans ce sens, l’originalité de l’AES va être justement de transcender cette difficulté liée aux frontières et de mettre ces populations ensemble et, surtout, de traiter les mêmes problèmes, comme ceux liés à l’insécurité, par exemple, puisque le terrorisme ne reconnaît pas les frontières. Les terroristes attaquent le Niger, et le lendemain c’est le Mali la cible; ils frappent au Mali et le lendemain ils sont au Burkina Faso. Pendant très longtemps, nous avons été limité par ses frontières face à un ennemi qui, je m’excuse de l’expression, n’a rien à faire de ces frontières là aujourd’hui. Le fait que nos états se mettent ensemble, qu’ils mettent sur pied cette alliance des états du Sahel va leur permettre désormais de conjuguer leurs efforts ensemble dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, cet ennemi qui traverse les frontières de part et d’autre. En outre, ils pourront traiter les mêmes problèmes liés au développement, la protection des personnes et de leurs biens.
Quand vous connaissez ces frontières, là franchement, l’idée qui a été mise en avant par par les Chefs d’État de l’AES ne peut qu’être saluée. Je pense que c’est la même idée qui avait été mise en avant quand on voulait créer le G5 Sahel, mais cette fois-ci, je vois que beaucoup de gens sont méfiants tout simplement parce que ce sont ces trois pays qui se sont appropriés le projet.
« L’originalité de l’AES va être justement de transcender cette difficulté liée aux frontières et de mettre ces populations ensemble »
JOURNALISTE
Cette idée de l’AES vient de trois Généraux qui ont renversé des régimes. Donc ça fait un peu alliance des putschistes, je ne sais pas si vous comprenez un peu la critique. C’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui elle est un peu décrédibilisée.
MOUSSA AG ACHARATOUMANE
Pas forcément, parce que nous savons qui sont ceux qui ont fondé la CEDEAO. C’étaient des hommes en tréllis, mais pourtant ça n’a pas créé autant de polémique. Je pense que ce qui est fondamentalement important et nécessaire, c’est que la communauté internationale comprenne que ce sont les sahéliens et les populations du Sahel et leurs dirigeants qui ont eu cette idée-là de se mettre ensemble, de conjuguer leurs efforts pour vraiment répondre à un certain nombre de choses qu’ils ont défini.
D’abord, c’est la défense. Ensuite, sur le développement, puis la diplomatie. Je pense qu’on doit essayer vraiment de les écouter d’abord. Pour voir ce qu’ils veulent faire et éventuellement d’essayer de les accompagner, parce qu’aujourd’hui quand même, vous êtes dans une confédération qui fait plus de 2.700.000 kilomètres carrés. Il s’agit donc de l’espace le plus grand aujourd’hui en Afrique et une zone quand même très stratégique pour le Maghreb et aussi pour la CEDEAO. Donc, je pense qu’il y a quelque chose à tirer de positif. En réalité, dans cette initiative-là, on doit plutôt avoir ce regard-là, essayer vraiment de comprendre ce que les sahéliens veulent faire et essayer de les accompagner.
Parce que, de toutes les façons, cela fait 15 ans qu’on a tout essayé au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Il y a eu tout genre d’opérations qu’on a initié pour la première fois. Les sahéliens, eux-mêmes, ont défini leur propre solution. Je pense qu’on doit vraiment faire l’effort d’essayer de les comprendre, de leur donner un peu de temps pour voir ce que ça va devenir.
JOURNALISTE
Mais, l’un des points communs à ces trois pays-là c’est aussi le rapprochement avec le Kremlin, avec la Russie. Selon vous, est-ce une aubaine d’avoir comme partenaire la Russie au Mali ?
MOUSSA AG ACHARATOUMANE
Non, parce que tout simplement la Russie est un partenaire historique au Mali. Il ne faut pas oublier que quand le Mali a eu son indépendance en 1960, il a noué des relations très approuvées avec l’ex URSS. La plupart des grands cadres et intellectuels maliens qui sont aujourd’hui en majorité à la tête du pays ont été formés en Russie. Quand on regarde l’armée malienne, l’armement qu’on utilise, les munitions qu’on utilise, l’arsenal qu’on utilise, viennent de la Russie. Par conséquent, au-delà de la spéculation, cette relation n’est pas nouvelle. Le Mali a tout simplement dit qu’il diversifie son partenariat. Il va traiter avec tout le monde et tous ceux qui sont prêts à nous aider. Nous sommes prêts à collaborer avec tous ceux qui veulent nous accompagner, et nous n’avons pas de partenariats exclusifs avec qui que ce soit.
Je tiens vraiment à le dire et à le préciser. Ce n’est pas parce qu’on est avec la Russie qu’on va couper avec le reste du monde. Aujourd’hui, le Mali est dans une posture de diversification de son partenariat. Nous pouvons avoir des choses avec la Russie que nous ne pouvons pas avoir avec les Français et les Américains. On peut avoir des choses avec les Français et les Américains qu’on ne peut pas avoir avec les Turques et les Chinois. C’est ça notre vision aujourd’hui. Parlant d’exclusivité, certains veulent faire de nous des pro-russes ou pro-français. Vous avez vu ce qui s’est passé en 2013, quand il y a eu l’opération Barkhane, le drapeau français était partout. Vous avez vu comment le Président François Hollande a été accueilli à Bamako et Tombouktou. Ce sont les événements qui définissent cela, et non pas forcément quelque chose qui est ancré dans la tête et dans la mémoire des Maliens. À un moment donné, les maliens en difficulté voyant qu’il y a un état qui les soutient ont spontanément brandit le drapeau français ; aujourd’hui ils ont pris le drapeau russe, peut-être que demain ça va être un autre drapeau. Ce qui est important, c’est que le Mali n’a pas de partenariat exclusif avec qui que ce soit. Nous traitons avec tous les États à égalité et chacun peut nous apporter quelque chose.
« Ce n’est pas parce qu’on est avec la Russie qu’on va couper avec le reste du monde. Aujourd’hui, le Mali est dans une posture de diversification de son partenariat »
JOURNALISTE
Avec la France qui accueille une majeure partie de vos compatriotes emigrés, peut-on parler de la signature officielle de l’acte de décès des relations franco-maliennes ?
MOUSSA AG ACHARATOUMANE
Non, pas du tout. Je ne le pense pas, d’ailleurs nous sommes très loin de cela, parce qu’aujourd’hui au Mali, quand même, nous avons une Ambassade qui est là, un chargé d’Affaires qui est là. Je pense que le contact n’est pas totalement coupé, certes on sort d’une crise et il y a beaucoup d’appréhension. Je pense que la responsabilité est partagée entre les maliens et les français. À mon avis, les français ont compris ce que les maliens veulent et ceux-ci aussi ont compris un peu la position des français. Nous pouvons espérer que dans les mois et les années à venir, les choses vont aller mieux.
JOURNALISTE
Mais, les français dénoncent une certaine ingratitude de la part de Bamako disant que leurs enfants sont morts sur le territoire malien pour lutter contre le terrorisme. Est-ce que vous comprenez ce discours-là aujourd’hui ?
MOUSSA AG ACHARATOUMANE
Bon, vous savez, je pense que les discours qui se sont tenus depuis Paris ne sont pas forcément nécessaires. Je pense que le Mali et la France ont beaucoup de choses en commun, surtout les populations. En fait nous sommes liés par beaucoup de choses, donc nous devons laisser de côté les discours qui divisent. Beaucoup de choses se sont passées. Tout n’est pas rose. Côté français, on a accusé le Mali, côté malien, on a accusé la France. Maintenant on doit prendre du recul par rapport à tout ça et essayer vraiment de construire quelque chose dans lequel les uns et les autres vont se retrouver et qu’on se respecte mutuellement. C’est tout ce que les maliens demandent aux français, européens, américains, russes, chinois, turcs et à tout le monde.