RAISONS ET IMPLICATIONS DU RETRAIT DES PAYS DE L’ALLIANCE DES ÉTATS DU SAHEL DE LA CEDEAO

Dans un communiqué commun diffusé le 28 janvier 2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger décident « avec effet immédiat » de se retirer de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pourquoi maintenant et comment analyser et comprendre cette décision et ses implications politiques, diplomatiques, juridiques et sociales pour ceux qui partent et pour l’ensemble régional ?

Par Moritié Camara
Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales
Université Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire)

Un retrait des trois États de l’Organisation Régionale était dans tous les esprits depuis qu’ils avaient considéré début aout 2023, toute intervention militaire internationale, au Niger, comme « une déclaration de guerre contre leurs pays ». Sans aller jusqu’à affirmer qu’ils quitteraient l’organisation comme l’a fait la junte militaire guinéenne, tous s’accordaient à dire que la dégradation des relations entre ces trois pays et la CEDEAO avait franchi un seuil critique. Et même si, depuis, les États qui étaient pour une intervention militaire au Niger se sont ravisés, la méfiance reste de mise entre les protagonistes.

Ces trois États qui ont à leur tête des régimes qui surfent sur le paradigme fourre-tout du panafricanisme et de la conquête de la vraie indépendance pour s’assurer la connivence de leur opinion publique, ont mis en place le 16 septembre 2023, l’Alliance des États du Sahel (AES) dont l’objectif est entre-autre une entraide pour lutter contre l’insécurité induite par les groupes terroristes et djihadistes qui ensanglantent leurs territoires depuis plusieurs années maintenant.

Ce paradigme de la sécurité, n’est d’ailleurs pas étranger à leur décision dont la date d’annonce n’est pas également fortuite


En diplomatie le timing est un élément fondamental pour faire passer un message et créer le maximum d’impact souhaité. Le fait que cette annonce intervienne deux jours seulement après la fin de la visite africaine du Secrétaire d’État Américain, Antony Blinken n’a rien d’un hasard. Loin s’en faut !

Les États-Unis depuis 2021, devant l’évidente « Afghanistanisation » du Sahel, ont défini un nouvel espace géostratégique nommé Afrique de l’Ouest Côtier (AOC) qu’ils veulent selon leur propre expression préserver de la contamination djihadiste qui règne au Sahel. Lors de sa tournée africaine en 2023, la Vice-Présidente des États-Unis Kamala Harris a promis une aide sur 10 ans de 100 millions de dollars pour réaliser ce vœu. Lors de sa récente visite, le Secrétaire d’État Américain a réaffirmé cet engagement en faisant au Nigeria la promotion d’une « sécurité globale ». Lorsqu’on regarde la carte des États membres de la CEDEAO, on se rend compte que l’Afrique de l’Ouest Côtier est la CEDEAO moins ces trois États que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger qui du coup se retrouvent isolés et livrés à leur propre sort face aux hordes de terroristes et autres grands bandits et trafiquants qui tuent et endeuillent leurs populations quotidiennement. C’est ainsi que dans le communiqué annonçant leur retrait de l’Organisation, ces trois Etats affirment : « L’Organisation n’a pas porté assistance à nos États dans le cadre de notre lutte existentielle contre le terrorisme et l’insécurité ; pire lorsque ces Etas ont décidé de prendre leur destin en mains, elle a adopté une posture irrationnelle et inacceptable en imposant des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables (…) »

Ce manque de solidarité et d’empathie aussi bien des acteurs régionaux et internationaux explique donc cette évolution entre ces trois États et la CEDEAO. Car, si les sanctions qui leur sont appliquées suite aux coup d’Etat qu’ils ont connus sont appelées « sanctions de la CEDEAO », la grande majorité d’elles viennent plutôt de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africain (UEMOA). Il est vrai que créer sa propre monnaie n’est pas une entreprise aisée surtout pour des pays qui comptent parmi les plus pauvres au monde. Il est donc plus facile de marquer le coup en se retirant de la CEDEAO plutôt que de l’UEMOA.

À la suite du retrait des Forces Françaises de ces trois États, les États-Unis qui ont gardé une base de drones ainsi que 1000 soldats sur place au Niger, travaillent activement à rechercher de nouveaux endroits pour les délocaliser. La tournée d’Antony Blinken a été une nouvelle occasion de poursuivre les négociations avec les dirigeants rencontrés sur ce sujet. Toute chose qui n’a pas échappé aux dirigeants des trois pays qui restent très attentifs à la posture des Américains qui avaient annoncé le 13 décembre 2023 à Niamey qu’ils sont prêts à reprendre leur coopération avec le Niger à condition que le régime militaire s’engage pour une transition courte.

En effet, l’Histoire de cette région de l’Afrique nous enseigne que les alliances qui ont pour objet et pour but d’unir des États entre eux, à la différence des organisations internationales dont l’objectif est d’améliorer leur coopération, n’ont jamais été des réalités solides et pérennes tant elles sont à la merci de revirements de leurs membres. Ces trois gouvernements sont des gouvernements de transition et cette décision a été prise sans consultation des peuples concernés (referendum). Il y a donc la possibilité qu’un prochain gouvernement civil et légitime au vu de ses propres intérêts nationaux remette cette décision en cause dans l’un ou l’autre de ces États dans quelques mois. De ce point de vue, cette décision a un double objectif politiques qui est de faire un appel du pied à la communauté internationale pour attirer son attention sur les réalités auxquels leurs pays sont confrontés et également de mettre les prochains dirigeants de leur pays devant le fait accompli.

La CEDEAO qui garde pour le moment une attitude sereine pourrait remettre en cause non seulement la légitimité de cette décision car elle ne reconnait pas certains des gouvernements concernés, mais également dénoncer son caractère illégal à cause de la mention « avec effet immédiat ». L’article 91, du traité dispose notamment qu’un État membre ne peut se retirer de l’organisation qu’après avoir laissé un préavis écrit d’un an à l’organisation. Ce délai permet ainsi à l’organisation de régler toutes les questions juridiques, administratives et d’intendances notamment en ce qui concerne les fonctionnaires des Etats concernés qui travaillent pour elle.

Il se trouve cependant que ces trois États sont actuellement suspendus. Peuvent-ils se prévaloir de cette suspension pour s’affranchir des textes de l’Organisation? Absolument pas si l’on s’en tient aux dispositions du Droit international. Un État qui est suspendu d’une organisation internationale continue toujours à être membre de celle-ci et soumis au paiement de ses cotisations et ses ressortissants continuent d’occuper les postes qu’ils occupent au sein de ladite organisation.

Mais les Etats sont réputés souverains en Droit international et ses trois gouvernements peuvent évoquer cette souveraineté pour quitter « avec effet immédiat » l’organisation et en assumer en toute connaissance de cause les conséquences. Même si ces gouvernements ne sont pas reconnus par la CEDEAO, leurs représentants siègent aux Nations Unies et cela prime sur toute autre reconnaissance.

Une décision aux nombreuses conséquences


Ce à quoi ces trois régimes militaires devront par contre faire face, ce sont les nombreuses conséquences tant sur les plans politique, diplomatique, économique que social de leur décision de divorce avec l’Organisation régionale à laquelle leurs pays appartiennent depuis 49 ans.

Sur les plans politique et diplomatique, la méfiance entre les pays de l’Alliance et ceux de la CEDEAO ira en se renforçant tant que les gouvernements militaires actuels seront aux affaires d’un côté et de l’autre ceux réputés être des proxis des puissances étrangères notamment de la France. Aucun pays ne voulant ni ne pouvant déménager, ils continueront de partager des frontières communes. Cette situation est porteuse de tension dans un contexte sécuritaire très délétère avec la détermination des djihadistes et autres grands bandits de s’imposer.

Sur le plan économique, ces trois sont enclavés et leurs exportations et importations dépendent des ports des pays côtiers membres de la CEDEAO. Leur appartenance à cette organisation leur donnait le bénéfice de la libre circulation des biens, capitaux et personnes. Tout cela viendra du jour au lendemain à être remis en cause. Ces derniers mois, ils ont exploité d’autres ports comme ceux de l’Algérie et de la Mauritanie mais avec l’insécurité sur les routes qui les relient à ces ports, on est autorisé à se demander si cela peut être viable et profitable sur le long terme.

Il se posera très vite, la question de l’implantation des entreprises originaires de ces pays sur l’espace communautaire de la CEDEAO. Pour des entreprises dont certaines sont installées depuis plusieurs décennies, les choses également risque d’être très compliquées au niveau des garantis des investissements, des taxes et de rapatriement des fonds. Au Nigeria par exemple toute entreprise étrangère qui veut rapatrier ses fonds dans son pays d’origine doit au préalable avoir l’autorisation de la Banque centrale. Ce qui n’est pas toujours évident.

C’est cependant sur le plan humain que les répercussions seront plus importantes et massives. La CEDEAO est l’organisation régionale africaine qui a le plus réussi l’intégration de ses populations. Le passeport unique crée un sentiment de proximité et d’appartenance à un même espace entre les populations tout comme d’ailleurs la libre circulation. Le projet de monnaie commune et d’infrastructures économiques complémentaires sont autant de réussite de cette organisation.

Tout cela sera remis en cause, mais les pays de l’AES ne seront pas les seuls à blâmer quant aux coups portés à l’excellente œuvre d’intégration des peuples de la CEDEAO. La responsabilité de cette dernière est écrasante. C’est elle qui s’est laissée infiltrée ces dernières années par des puissances extérieures qui semblent lui dicter sa conduite même envers ses propres membres et qui a trop tiré sur la corde. Ce qui est inacceptable.

Cependant, ces trois États ont plus à perdre qu’à gagner en sortant de l’Organisation et il y a de forte chance qu’ils reviennent à la raison de l’évidence. Cette décision semble plus être un appel du pied pour être réintégré dans la communauté régionale et internationale qu’une réelle volonté de partir. Le temps court nous dira ce qu’il en est véritablement.

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