Laboratoire d’Etude des Migrations Africaines

LA CONSTRUCTION D’UN DÉBAT APAISÉ SUR LES MIGRATIONS EN AFRIQUE ET EN EUROPE A ÉTÉ AU CŒUR DE NOTRE DERNIER WEBINAIRE

Le 7 mai passé, le Laboratoire d’Étude des Migrations Africaines, en abrégé LemAfriQ, a organisé des échanges en ligne entre six chercheurs autour du thème « Dynamiques migratoires et stratégies d’adaptation à la variabilité climatique : regards croisés Afrique-Europe ».

C’est su, les migrations, sujet de tous les jours et pour toujours, concernent aujourd’hui par leur fort dynamisme de plus en plus de pays. Les régions du monde industrialisé présentant une stabilité relative constituent le pôle d’attraction. Outre le contexte social, économique et politique dans lequel se produisent ces mouvements, les migrations environnementales ―fruits de l’impact du changement climatique sur les flux migratoires― sont un phénomène « nouveau ». Les émissions de gaz à effet de serre provoquent un réchauffement et une modification des composantes du système climatique avec de lourdes conséquences économiques et sociales, notamment sur les populations les plus pauvres. Et renforcent les déplacements de populations.

Selon le professeur Piero-D. Galloro, enseignant de Sociologie des (im)migrations à l’Université de Lorraine (France), le terme même de migrant est alarmiste, d’où la nécessité de parler de « déplacés o réfugiers environnementaux ». En outre, l’idée de migrer est à remettre en cause car la légitimité de certaines frontières est douteuse, puisque ne repondant pas dans plusieurs cas, surtout en Afrique, à aucune logique.

Conséquence de ce qui précède, le Dr Diachari Poudiougo, enseignant de Droit et Relations Internationales à l’Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (Mali), considère que les populations en mobilité génèrent de profondes mutations et engendrent des expériences multiples de l’altérité. Elles peuvent être source d’inquiétudes, de tensions, mais aussi de nouveaux types de liens sociaux, de redécouverte de soi, d’innovations sociétales et de revendications politiques nouvelles qui appellent à l’humanité et la solidarité. Il a partagé le cas spécifique de certaines régions du Mali, en soulignant que, par exemple, le réchauffement climatique avec une température qui avoisine assez souvent les 49ºC, les conflits armés qui sont aussi la cause de la déforestation, dès lors que les populations se voient contraintes parfois de détruire la forêt pour s’épargner des attaques djihadistes, sont aussi corolaires des déplacements forcés.

Pour sa part, le Dr Sylvain N’Guessan, enseignant de Géopolitique et Prospectives à l’Institut de Stratégies d’Abidjan (Côte d’Ivoire), a pointé du doigt l’appauvrissement des terres et la perte de superficies forestières du fait des pratiques agricoles extensives. Il a pris l’exemple de son pays où selon les estimations, il n’y aurait plus de forêt d’ici 2060. À cela s’ajoute la pollution causée par les électroménagers européens usagés qui sont deversés en Afrique. Cela impliquerait un exode des populations rurales vers les zones urbaines et même en dehors des frontières des pays et du continent africain.

La réponse de l’Europe est connue. Peu après l’adoption en France d’une loi sur l’immigration, l’Union européenne (UE) a trouvé le 20 décembre 2023 un accord sur la refonte des règles européennes en matière d’asile et de migration. Cette réforme a été qualifiée par plusieurs ONG de « cruelle, coûteuse et inefficace qui risque de créer toujours plus de souffrances et de multiplier les désastres humanitaires aux frontières et tout au long des parcours d’exil ».

Pourtant en Afrique, le discours sur l’immigration n’est pas toujours bon ton, non plus. C’est ce qu’a rappelé le Professeur Habib Kazdaghli, enseignant d’Histoire Contemporaine à l’Université de Tunis (Tunisie). Il en veut pour preuve, les propos du président tunisien Kais Saied en février 2023 évocant « un projet de remplacement de la population autochtone » par des migrants « africains », en référence aux subsahariens, qui avait été suivi d’actes violents contre ces derniers et soulevé une vague de condamnations. Pourtant, il y a moins de 60.000 migrants dans le pays qui compte plus de 12 millions d’habitants, soit 0,5% de la population. Face à ce genre de situation, le rôle des universitaires est de mener la réflexion pour un débat apaisé et dépolitisé par la connaissance et le dialogue, comme l’affirme le professeur Cherif Ferjani, enseignant de Sciences Politiques à l’Université Lumière-Lyon-II (France).

C’est dans ce sens que le Dr. El Hassane Jeffali, professeur de Sciences Humaines et Représentant-Résident de LemAfriQ au Maroc, a fait un tour d’horizon, d’une part des différentes normes internationales sur les migrations, et d’autre part, de la politique migratoire de son pays. Si les premières, bien qu’utiles ne sont pas contraignantes pour les États, le Maroc a toutefois dans un élan de solidarité pris deux initiatives de régularisation massive des immigrés en 2014 et 2017. Au délà des réactions à chaud, c’est donc sur une note d’optimisme que les participants au webinaire se sont séparés.

Devoir de solidarité entre les victimes des politiques néoliberales qui soufflent sur les braises de la xénophobie


Mohamed Chérif FERJANI

Au Nord, comme au Sud et à l’Est, les migrants sont la cible de campagnes de haine raciste les accusant d’être à l’origine de tous les maux de la société : violences, vols, trafics de toutes sortes, prostitution, insécurité, etc. Les tenants de la théorie xénophobe du « Grand remplacement » y voient les instruments d’un complot visant à submerger les sociétés des pays par lesquelles passent les migrants, ou cherchent à s’y installer, pour en changer l’identité, la culture et l’ordre social et politique. On s’obstine à refuser de voir les raisons pour lesquelles ils se sont arrachés à leur pays, et aux leurs, pour risquer leur vie en traversant des déserts hostiles, la mer sur des embarcations de fortune, des frontières et des pays où ils s’exposent à toutes les formes d’humiliation et de persécution, en livrant leur sort à des trafiquants sans scrupules qui leur prennent leurs économies pour les livrer à d’autres trafiquants encore plus cupides et moins soucieux de leur sort.

Ceux qui les persécutent et les pourchassent se recrutent parmi les victimes du même ordre néolibéral imposant partout des politiques agressives détruisant les systèmes de solidarités traditionnelles et les solidarités fondées sur les droits économiques, sociaux, politiques et culturels arrachés par les luttes de plusieurs générations depuis des décennies, voire des siècles. Très rares sont ceux qui réalisent les catastrophes qui les poussent à partir de chez eux : calamités naturelles aggravées par la destruction des écosystèmes naturels et de l’environnement, conflits ethniques, tribaux, confessionnels, guerres entre des pays auxquels le même système néolibéral a imposé des politiques de « réajustement structurel », de « vérité des prix », de « libre circulation des capitaux et des marchandises », aggravant les inégalités au sein de toutes les sociétés et entre les pays, au profit d’une minorité de nantis accaparant l’essentiel des richesses de la planète. Selon le rapport de l’observatoire des inégalités publié le 18 septembre 2020, la part du patrimoine mondial que possède le 1 % le plus fortuné est passé de 41,7 % en 2008 à 45 % en 2019.

Les migrants des pays du Sud et de l’Est, comme les chômeurs, les sans toits ni droits dans les pays du Nord et partout dans le monde, sont les victimes de ce système fondé sur les lois implacables et impitoyables d’une économie de marché visant à réaliser les plus gros profits, dans les plus brefs délais, aux moindres coûts et au détriment de la majorité écrasante et écrasée des humains réduits au statut d’auxiliaires facultatifs de ce système. En quittant les pays du Sud et de l’Est pour rejoindre les pays où s’accumulent, par le biais de l’échange inégal fondé sur la libre circulation des capitaux et des marchandises, les migrants ne font que suivre le mouvement des richesses pillées de leurs pays. Ils reproduisent ce que les humains ont fait de tout temps : quitter les endroits où ils ne peuvent plus vivre comme avant –en raison de catastrophes naturelles, des guerres ou de politiques comme celles qu’imposaient hier la colonisation et qu’imposent aujourd’hui le néolibéralisme– pour aller là où ils espèrent mieux vivre : Quoi de plus légitime ? Au nom de quelle morale veut-on le leur interdire ? N’est-ce pas là un droit fondamental à la base de la liberté de circulation dont on veut priver les humains en la réservant aux capitaux, aux marchandises, aux ressortissants des pays nantis et en ne l’accordant qu’à ceux dont les compétences sont nécessaires à la croissance de l’ordre économique dominant ?

En demandant à des pays du Sud et de l’Est –comme le Rwanda, la Tunisie, l’Egypte, la Turquie, la Roumanie, etc.– de jouer le rôle de garde frontières de l’Italie et de l’Europe, et en soufflant sur les braises de la xénophobie sur laquelle surfent les différentes expressions de la révolution conservatrice au Nord, comme au Sud et à l’Est, le système néolibéral adopté par les grandes puissances et imposé à tous les pays, cherche à dresser ses victimes les unes contre les autres pour perpétuer son règne. Il veut ainsi les empêcher de s’unir contre lui.

En succombant aux sirènes de la xénophobie, en se livrant à pourchasser et à persécuter les migrants, comme on le voit dans certains pays soumis aux mêmes politiques poussant leurs jeunes et leurs forces vives à l’exil, et en s’attaquant aux militants et aux organisations de défense des droits humains qui dénoncent le sort réservé aux étrangers indésirables, on devient les auxiliaires des politiques néolibérales dont les victimes se sont pas seulement les migrants accusés de tous les malheurs des sociétés soumises à ces politiques. Les victimes du système néolibéral, du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, n’ont aucun intérêt à s’opposer les unes aux autres en se laissant manipuler par les maîtres de ce système aidés par les idéologies xénophobes des différentes expressions de la révolution conservatrice. Elles doivent être solidaires entre elles, et avec les migrants, et unir leurs luttes contre le système néolibéral à l’origine de leurs malheurs.

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